Solar Impulse : 5 challenges pour réussir le tour du monde
- Partager sur Facebook
- Partager sur Twitter
- Epingler sur Pinterest
- Partager sur Linkedin
- Partager sur WhatsApp
La deuxième moitié du tour du monde de Solar Impulse 2 a repris depuis Hawaï, à la faveur des plus longues durées d’ensoleillement de cette saison. L’appareil fonctionne en effet intégralement à l’énergie solaire et pour arriver à destination, il devra éviter de nombreux obstacles, notamment météorologiques. Les pilotes suisses André Borschberg et Bertrand Piccard doivent donc s’appuyer intégralement sur les calculs effectués par Altran pour emprunter les voies aériennes les plus judicieuses. « La météo est un élément critique et doit être préparée, calculée, évaluée, planifiée, réestimée, soupesée », détaille Christophe Béesau, responsable Altran de la stratégie et des prévisions de vol pour Solar Impulse.
A Monaco, au Mission Control Center, les membres de l’équipe Altran jouent ainsi un véritable rôle de copilotage. Ils nous expliquent les défis à relever.
1. Collecter un maximum d’énergie en vol durant la journée
Chaque vol, qui est appelé à durer entre trois et cinq jours (quatre au maximum pour la première étape vers la côte Ouest des Etats-Unis), ne tolère guère les nuages imprévus.
« La première problématique est la collecte d’énergie, poursuit Christophe Béesau. L’avion a été conçu pour pouvoir voler 24 h sur 24 dans des conditions favorables, et il faut avoir une majorité de ciel bleu pour collecter un maximum d’énergie et pouvoir passer la nuit. »
Les trois ingénieurs de l’équipe simulation d’Altran ont pour mission de trouver la meilleure route pour l’avion afin d’optimiser les périodes de charge solaire entre 9 h et 23 h. L’idée est ensuite qu’il puisse continuer de voler la nuit en mode propulsion, avec des batteries en décharge, jusqu’au lever du jour.
Aucune situation n’est identique à la précédente. « Les calculs dépendent de la latitude de vol, de la saison, du profil de vol, de très nombreux facteurs. »
2. Se faufiler entre les turbulences
« La seconde difficulté concerne les vents, en particulier les vents verticaux avec des phénomènes du type wind shear (cisaillement du vent) », précise Christophe Béesau. L’envergure de Solar Impulse, 71,9 mètres, est comparable à celle d’un Airbus, mais avec un poids et une vitesse nettement moindres, ce qui le rend particulièrement sensible au vent.
« Quand un avion vole à 500 nœuds et passe en une demi-seconde dans la veine de vent verticale, l’effet de levier est assez rapide, ça secoue un peu mais ce n’est pas méchant, alors que pour Solar Impulse, qui vole à 50 nœuds, le passage ne se fait pas en une demi-seconde mais en cinq secondes, et là le vent a le temps de déstabiliser complètement l’avion, voire d’entraîner des dommages structurels sur l’aile. »
L’équipe de simulation d’Altran peut être amenée à modifier totalement un plan de vol si elle découvre que des menaces sont jugées suffisamment probables 48 ou 72 heures plus tard sur les plans de route envisagés.
3. Gérer le repos du pilote
La durée de chaque vol est un défi physique et mental pour le pilote. Le rôle des ingénieurs d’Altran est primordial pour l’épauler. « Il faut être sur plusieurs fronts à la fois, être très précis sur le suivi, poursuit Christophe Béesau, et vérifier que tout converge. Mais ce ne sont pas uniquement des calculs, il faut faire tout ça avec un regard, un feeling de pilote, pour prendre en compte, par exemple, les temps de repos dans le cockpit. »
Les conditions peuvent être terribles. Les plages de repos doivent être minutieusement planifiées pour permettre d’avoir un pilote en forme aux moments clés, notamment pour la phase critique d’atterrissage.
« Le pilote doit être capable de se reposer par toutes petites tranches d’une vingtaine de minutes »
Christophe Béesau, Responsable Altran de la stratégie et des prévisions de vol pour Solar Impulse
« Le pilote doit être capable de se reposer par toutes petites tranches d’une vingtaine de minutes, pour un cumul quotidien d’à peine quelques heures, détaille-t-il. La période de repos ne peut être faite qu’à basse altitude. Se reposer avec le masque à oxygène est impossible, car trop contraignant. En cumulé, c’est relativement peu et ça ne peut pas être fait à n’importe quel moment puisque dès qu’il est au-dessus de 12 000 pieds, il ne peut pas dormir car il ne pourra pas respirer naturellement. Au-dessus de 16 000 pieds, se nourrir et boire relèvent presque de l’acrobatie. »
Les cycles de montées et de descentes font par ailleurs varier la température intérieure du cockpit de façon importante et rapide (entre -20 et +30 degrés), ce qui est éprouvant pour l’organisme, et entraîne une sur-fatigue. A cela s’ajoute la nécessité de rester parfaitement lucide et concentré pour gérer les nombreuses opérations, des plus basiques aux plus techniques.
La fatigue des équipes au sol est également à prendre en compte, même si des roulements sont effectués régulièrement.
4. Traverser l’Atlantique avant fin juillet
L’arrivée sur la côte Ouest puis le redécollage deux jours plus tard vers New York, après la phase de maintenance, devront se produire impérativement avant la fin du printemps. « Après le 15 juin s’ouvre la période des tornades dans le nord du Texas, sur l’Oklahoma », rappelle Christophe Béesau.
L’atterrissage à New York interviendra dans le meilleur des cas dès la fin mai. «Le pic de probabilité est plutôt le 15 juin, tempère Christian Le Liepvre, responsable du partenariat Solar Impulse chez Altran, et ça ne veut pas dire que ça n’arrivera pas le 15 juillet… »
Arriver le plus tôt possible sur la côte Est sera essentiel pour agréger de nouveaux éléments de confiance avant le vrai challenge prévu : la traversée de l’Atlantique qui s’annonce comme le vol le plus difficile. Un choix devra être fait entre les routes courtes et moins ensoleillées du nord, et celles plus longues mais plus ensoleillées du sud, avec plus d’anticyclones au programme.
« Si l’Atlantique n’est pas traversé fin juillet, ce sera fichu »
Christian Le Liepvre, Altran, responsable du partenariat Solar Impulse
Christian Le Liepvre estime que « si l’Atlantique n’est pas traversé fin juillet, ce sera fichu. Plus on s’éloigne du 21 juin, plus c’est difficile, d’où l’énorme pression qu’il y a en ce moment pour arriver le plus tôt possible à New-York puis en redécoller».
5. Assumer la pression
Le staff du Mission Control Center, à Monaco, s’est aguerri après quelques incidents durant lesquels le sang-froid et la capacité d’adaptation des ingénieurs ont permis d’éviter le pire. La surchauffe des batteries, l’an dernier, qui avait interrompu le tour du monde, n’était rien comparée au décrochage d’un panneau d’un mètre sur trois d’une aile, sur le premier modèle de Solar Impulse.
Ces épreuves ont permis d’affiner les capacités de réaction à des événements imprévus. « Depuis l’an dernier, relève Christian Le Liepvre, nous avons amélioré la partie automatique et le copilote virtuel ; nous avons progressé dans la réactivité, la sensibilité du système, de façon à être plus pertinents dans les alarmes ; l’interface homme-machine a aussi été perfectionnée ; et nous avons mis au point un supercalculateur qui permet de multiplier par cent la capacité de calcul. L’an dernier, seules les prévisions les plus probables étaient traitées, mais cette année, l’ensemble des scénarios, des plus probables aux moins envisageables, sera considéré ».
« L’équipe à terre est soumise à un stress très important, confirme Christian Le Liepvre. Ce stress, ce n’est pas cinq jours à la suite, c’est quatre mois. L’obligation de résultat est forte car il y a un pilote en l’air. Notre réponse à la pression est la simplification des processus de décision et d’analyse, autant que possible. »
Chacun sait que les obstacles seront encore nombreux d’ici l’atterrissage final à Abu Dhabi, qui sera l’accomplissement d’un défi inédit dans l’histoire de l’aviation, où le temps aura été autant une contrainte qu’un atout et une stimulation pour les ingénieurs.